Interview de Niki Cauberg, cluster Industrialisation de la construction, et département « Construction Digitale » du CSTC – Regard sur l’avenir de la construction
Il existe de très nombreux concepts, techniques et technologies qui peuvent contribuer à optimiser un processus de construction. Chaque jour, Le cluster ‘Bouwindustrialisatie’ (‘Industrialisation de la construction) du CSTC, Wood.be et 3E, avec le support de Vlaio (L’Agence de l’innovation et de l’entreprise de la Communauté flamande), tentent d’en trouver de nouveaux et de les faire évoluer. Son objectif est de maîtriser l’ensemble du processus de construction, de la conception à la réalisation, afin de le rendre comparable à un processus industriel classique.
« Nous ne deviendrons évidemment jamais tout à fait comparables au secteur de l’automobile », confesse Niki Cauberg, un des collaborateurs du cluster. « Une construction est trop unique pour cela et diffère trop par exemple d’une voiture. Toutefois, l’objectif reste de réduire au minimum le coût des erreurs et d’augmenter au maximum la qualité et l’efficacité. »
BETON : Votre cluster a défini un ensemble de méthodes pour se rapprocher le plus possible de l’industrialisation lors des différentes phases du processus de construction (voir Fig. 1). La plupart de ces outils verront-ils prochainement le jour, ou bien est-ce encore utopique ?
Niki Cauberg : « Ces outils dressent l’inventaire des possibilités qui pourraient exister pour industrialiser la construction. Nous sommes loin de les avoir tous approfondis. Nous réalisons actuellement pour certains des projets d’étude. D’autres semblent assez évidents et seraient en théorie réalisables. Malheureusement, nous ne pouvons pas tous les concrétiser simultanément. Une des techniques sur lesquelles nous travaillons de façon intense aujourd’hui est la possibilité d’automatiser le scannage et les techniques de mesurage 3D. Nous avons déjà bien avancé dans ce domaine. L’objectif que nous recherchons, c’est de pouvoir vérifier de façon très intuitive, depuis l’usine, si les dimensions d’un élément sont correctes et si celui-ci peut dès lors partir vers le chantier. Une fois sur le chantier, l’entrepreneur peut également s’assurer qu’il est conforme. En deuxième lieu, nous voulons vérifier via ces systèmes de mesure si un élément a été posé dans les tolérances. Il est possible de construire avec une grande précision via la station totale d’un géomètre, par exemple en indiquant la pose très précise d’un élément préfabriqué et en déterminant l’endroit où il doit être placé. Reste que ces opérations sont évidemment très chronophages et non applicables pour chaque élément. Avec ces appareils combinés à des logiciels et à un modèle BIM, l’automatisation pourrait permettre un déroulement plus automatique du processus de mesurage. C’est donc surtout le mesurage que nous souhaitons encore mieux automatiser, par le biais d’une confrontation permanente avec le modèle de conception. À terme, la grande majorité des entrepreneurs devraient être capables de le faire eux-mêmes. Nous sommes également explicitement engagés dans des actions de démonstration, notamment par le biais de nos futurs centres de démonstration 4.0 (soutenus par le FEDER – Le Fonds européen de développement régional)”. »

BETON : Comment pensez-vous pouvoir automatiser cette méthode de mesurage ?
Niki Cauberg : « La photogrammétrie est une technique dont nous attendons beaucoup pour ce système. Elle permet d’obtenir des informations géométriques à partir d’images numériques. Des drones peuvent également être utilisés pour cela. Ils ont recours à la photogrammétrie en superposant un très grand nombre d’images. On peut réaliser à partir de ces images prises par drones des nuages de points, avec lesquelles on peut effectuer certaines mesures ou qui peuvent servir de base à des modèles.
Actuellement, nous faisons beaucoup d’efforts pour améliorer la facilité d’utilisation et la précision des images et des modèles. On peut également travailler avec des marqueurs ou des distances de référence pour augmenter la précision.
A terme, un fabricant/fournisseur pourrait peut-être lui-même augmenter la précision sur ses éléments en y indiquant des distances de référence. Le scénario idéal pour le futur est celui d’un drone qui survole le chantier pour vérifier si tout est à sa place en construisant de façon continue un nouveau modèle confronté au modèle BIM. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous espérons y arriver dans cinq ans. L’idée d’observer, mesurer et contrôler des éléments grâce à la photogrammétrie est parfaitement possible aujourd’hui, mais souffre de son imprécision et demande beaucoup de travail manuel. La marge d’erreur est encore de l’ordre du centimètre. En outre, il faut encore beaucoup d’intelligence dans l’interface. Cette dernière doit être capable de faire la distinction entre un mur réellement construit et une palette qui traîne sur le chantier, ou une personne qui y circule. »
BETON : D’une technique intelligente à l’autre. L’utilisation de la réalité virtuelle s’annonce très intéressante aussi pour la construction.
Niki Cauberg : « C’est évident ! Nous avons actuellement un projet pilote autour de la réalité augmentée (RA) et virtuelle (RV) en collaboration avec Howest et Sirris (le centre collectif de l’industrie technologique, n.d.l.r.) et avec le support de Vlaio. Ces deux organisations s’engagent à transférer les connaissances du secteur des jeux vidéo à l’industrie. À ce petit jeu, la RV semble, à notre avis, déjà plus avancée que la RA. »
BETON : Comment la RV est-elle déjà utilisée sur le terrain ?
Niki Cauberg : « Je pense par exemple au configurateur du promoteur immobilier Bostoen. Grâce à la réalité virtuelle (RV) les (candidats) acheteurs peuvent faire connaissance avec leur futur bien, sans que le bâtiment soit déjà physiquement présent. Cela leur offre un meilleur aperçu de ce à quoi ressemblera le bâtiment, mais aussi de se rendre compte des dimensions et des espaces de vies. Cela leur permettra aussi de pouvoir adapter certains choix et également choisir leurs finitions. Cela permet donc aux clients de prendre plus de décisions lors de la phase de conception ce qui rend le processus plus efficace. L’ensemble du processus de report de la décision est également intéressant pour les produits préfabriqués. A mon avis, le choix de la préfabrication est parfois abandonné parce que les décisions sont prises trop tard et que les éléments ne peuvent plus être planifiés. »
« Cela dit, je crois plutôt en la réalité augmentée, ou RA, pour l’industrialisation de la construction car elle permet d’intégrer des informations virtuelles dans un environnement réel. D’abord, on peut faire voir sur un chantier ce qui doit être construit, pour aider les ouvriers à comprendre leur travail. En principe, c’est déjà possible aujourd’hui en projetant un modèle BIM via une lentille dans l’environnement qui doit être construit. Mais la technologie n’est pas encore si intuitive. Dans un deuxième temps, vous pouvez montrer aux travailleurs comment ils peuvent placer correctement un élément. Cela consiste à projeter pour un élément spécifique des instructions de montage via un texte ou un film. Des informations qui resteraient sinon cachées dans un manuel parviennent alors aux ouvriers et chefs de chantiers. Cela nous semble vraiment intéressant. C’est utilisable pour tout : des éléments préfabriqués à la colle à carrelage. »
BETON : Mais utiliser la RA pour informer les ouvriers est-il financièrement viable ?
Niki Cauberg : « C’est difficile à quantifier de façon uniquement arithmétique. La société Xella par exemple fournit par RA les instructions nécessaires à la pose correcte des éléments. Ils assurent que cela permet de gagner du temps. Les ouvriers voient même les structures auxiliaires et voient où le matériau doit être placé, ce qui permet d’éviter un certain nombre d’erreurs. Évidemment, il faudrait pouvoir calculer combien on investit dans la technologie et combien cela permet d’économiser en réduisant la marge d’erreur. D’autre part, il faut également voir si cela crée plus d’une valeur ajoutée. Je pars du principe que la RA fonctionne dans deux directions, que des données collectées lors de la pose peuvent ensuite servir d’apport pour l’optimisation du produit. Quand fait-on le plus d’erreurs ? Où le processus prend-il du retard ? Ce qui a commencé comme des instructions de montage peut à terme devenir un suivi complet de chantier. C’est une communication dans les deux sens qui est continuellement à jour. »
BETON : Travaillez-vous actuellement de façon moins active sur d’autres outils que vous inventoriez ?
Niki Cauberg : « Un certain nombre des outils ou possibilités que nous indiquons font donc partie de chaque phase du processus de construction. Comme l’optimisation des processus : nous tendons vers la maîtrise de l’ensemble du processus, en réfléchissant à chaque étape à la manière dont on pourrait être aussi efficace que possible. C’est une mentalité ‘lean’. C’est possible par exemple en réutilisant dans la phase de conception plus de données provenant de cycles précédents. Nous n’y sommes pas toujours habitués de la part des concepteurs.
Dans le secteur de la construction, il y a encore souvent l’idée que chaque structure est un fait totalement unique, dans lequel chaque détail doit être repensé, mais je ne suis pas d’accord avec cela. La majorité des bâtiments sont composés d’éléments similaires comme des portes ou des fenêtres… Cela peut sembler étrange, mais cela signifie qu’il s’agit d’éléments récurrents. Nous réfléchissons donc notamment à la standardisation de boutons, de connexions, de systèmes sous-jacents qui peuvent créer un produit fini unique. Il existe un certain nombre de sous-étapes uniformisées qui pourraient être intégrées systématiquement. Cela pourrait éviter beaucoup d’erreurs du côté du concepteur. L’environnement BIM est un environnement parfait pour permettre une réutilisation des informations. »
BETON : Dans ce cas, il est important que les secteurs coopèrent pour déterminer ces connaissances.
Niki Cauwberg : « Oui, ici aussi la préfabrication n’est pas loin, quand on examine l’optimisation du processus pendant la phase d’exécution. La préfabrication offre de nombreuses possibilités dans une telle construction industrialisée. Pas uniquement pendant la phase virtuelle, mais aussi physiquement sous la forme de produits semi-finis. Pour chaque action, il est possible d’évaluer s’il est préférable de la réaliser sur place ou hors site. C’est ici qu’intervient la logistique de la construction. Nous réalisons également avec le VIL, l’Institut flamand pour la logistique, un projet sur l’impact des hubs en milieu urbain. Un hub peut devenir un endroit où vous regroupez et préassemblez. Vous livrez sur le chantier aux heures où il est le plus facilement accessible, par exemple en fonction de l’espace disponible sur place, du trafic ou de règlements locaux. Ce faisant, vous créez un tampon et regroupez les matériels qui seront ensuite acheminés ensemble jusqu’au chantier. »
BETON : Vous avez mentionné que certains outils étaient intégrés dans différentes phases du processus de construction. L’optimisation des processus se situe-t-elle dans d’autres éléments du processus de construction ?
Niki Cauberg : « En termes d’optimisation des processus, il reste beaucoup de chemin à parcourir également en matière de documentation. Prenons un exemple : une demande d’urbanisme est aujourd’hui une seule opération, en particulier pour vérifier la conformité aux règles. On sait ce qui va être construit, mais en même temps on ne le sait pas. Aucune donnée détaillée ne sera établie. Et on ne peut pas en faire des modèles ou des simulations, car cela n’existe que quelque part dans une farde. Si on pouvait systématiquement libérer ces informations de manière numérique, on pourrait en tirer d’intéressantes analyses urbanistiques. Cela nous donnerait beaucoup d’informations intéressantes. »
« L’automatisation constitue une autre approche de l’optimisation des chantiers. Nous analysons ce qui est déjà utilisé dans les pays limitrophes : robots, cobots, impression 3D et d’autres éléments intéressants pour le soutien à l’emploi. De nombreux éléments lourds dans la construction peuvent être plus facilement positionnés avec des robots (ou cobots) »
BETON : Dans certaines usines de préfabrication, les ouvertures de fenêtres sont réalisées de façon entièrement automatisée par des robots.
Niki Cauberg : « C’est exact, mais de notre côté, nous nous intéressons plus spécifiquement à ce qui peut se passer sur un chantier. Bon nombre d’opérations sur les chantiers sont très difficiles pour les ouvriers. Par exemple, le nombre de forages est encore important. Aux Pays-Bas, il existe un robot foreur qui fonctionne sur la base de données BIM. Il peut être utilisé sur les chantiers présentant de grandes surfaces au sol libres, que le robot peut voir sans obstacles. Le forage d’ouvertures destinées aux spots dans les grands bâtiments pourrait être réalisé par un robot. Pour les grandes dalles impossibles à lever, des solutions sont en cours d’élaboration afin d’automatiser entièrement le processus d’installation. Avec le projet “Build4Wal” (ADN), ces solutions sont démontrées et développées dans nos laboratoires et dans le futur centre de démonstration à Limelette. »
BETON : Choisissons un dernier exemple pour conclure. L’Internet des Objets est un thème très à la mode.
Niki Cauberg : « À ce jour, l’accent pour ces applications a été placé sur la phase d’utilisation du bâtiment : qualité de l’air, taux d’occupation et autres partenaires qui permettent au gestionnaire du bâtiment de mieux faire son travail. Le lien avec le gros œuvre est encore plutôt ténu. Les possibilités concrètes pour le gros œuvre porteront plutôt sur le fonctionnement structurel : mécanismes d’avertissement quand quelque chose rouille, menace de s’effondrer ou bouge trop… La sécurité sur le chantier est également un élément sur lequel la technique pourrait se pencher. Cela nous préoccupait moins, comme institution technologique pour la construction, nous nous concentrons sur la technique. Cependant, nous pouvons aider à trouver des solutions de sécurité qui peuvent être prises en charge par la technologie. Les gagnants du hackaton de la construction (un concours organisé par le CSTC et la Confédération Construction et dans le cadre duquel des développeurs avaient 48 heures pour imaginer une solution technologie pour la construction) ont programmé un algorithme pour détecter le port du casque. L’observation se fait à l’aide de caméras (éventuellement sur une grue de chantier générale) et une alarme se déclenche si le casque n’est pas porté… Il pourrait également s’agir d’un système d’avertissement en cas d’ouverture ou de délimitation de zones. Lors d’un salon, j’ai également vu un système où les ouvriers reçoivent une montre connectée aux grues. Un signal leur est envoyé lorsqu’ils circulent sous une grue. Cela paraît simple : connecter deux sources de données et les faire interagir automatiquement, mais il faut pas mal de travail pour y arriver. Il en va d’ailleurs de même pour la plupart de ces thèmes. Il faudra nous laisser encore un peu de temps ! » (KDA, JM)
Les technologies numériques dans la construction : Salon en octobre
La Confédération Construction, le CSTC et leurs partenaires présentent leur 3ème salon Digital Construction Brussels. Il aura lieu à Tour&Taxis (1000 Bruxelles), du 23 au 24 octobre.
Près de 85 exposants, une pléiade de seminaires et de démonstrations vous en diront plus que quiconque sur les infinis développements du numérique dans notre secteur. Un nouveau Digital Construction Night sera organisé avec une remise d’Awards. Nouveauté cette année : un Symposium International BIM.
Troisième salon Digital Construction Brussels, 23 et 24 octobre 2019, Tour & Taxis Brussels. Toutes les informations via www.digitalconstructionbrussels.be